Il est des perles insoupçonnées, que
le temps ne saurait altérer.
Bruno Beausir a 24 ans lorsqu’il
décide de donner suite à son premier chef d’œuvre, l’intemporel
Première Consultation, sur lequel je reviendrais probablement
un jour. Ledit Bruno, lui-même, est un paradoxe ambulant. Son blase
provocateur (oui, dans les années 1990, se nommer DOC GYNECO était
une attaque sulfureuse au bon goût), son flow nonchalant et ses
penchants affirmés pour la fumette et la branlette en faisaient un
trublion incontournable dans le paysage de la musique française.
Son deuxième opus, Liaisons
Dangereuses, est un pamphlet hétéroclite à l’imagerie
suggestive et annonciatrice de l’orientation de l’album. Une
guillotine sur fond noir, « Doc Gyneco présente », et au
dos, un bourreau dodu tenant dans ses mains une tête de cochon
borgne : le ton est donné. Bien entendu, la référence à
l’œuvre libertino-psycho-perverse-cochonnesque de Choderlos de
Laclos est évidente, par le titre et l’artwork intérieur de
l’album, ainsi, VOILA TA MOUCHE MERTEUIL.
Clairement, le Doc a abandonné les
ambiances adolescentes et légères de son premier méfait (si l’on
excepte Né ici et le poignant Nirvana), et nous livre un album de
collaborations sombre et inspiré, où il est présent sur 8 titres
(dont un solo) sur 16. Les invités sont nombreux et l’on peut
noter que si la qualité de leur prestation est sinusoïdale, elle
est quand même souvent de fort bonne facture (si l’on met à part
Nanard Tapie, plus présent pour l’aspect provoc que pour la
qualité de son « chant/slam/rap », qui ferait passer JUL
pour NAS).
Ceci étant, la plupart des
intervenants sont des membres de l’underground, ici point de PASSI,
STOMY ou AKH, comme il était de bon temps à l’époque dans leur
Secteur, mais des pointures dont les fabuleux ARSENIK, ROCKIN’SQUAT
ou encore l’éphémère PIT BACCARDI. On y trouve également les
premières prestations « grand public » de MC JEAN GAB1,
(l’auteur du brûlot controversé J’t’emmerde), ou
encore les participations surprises de Catherine RINGER ou RENAUD,
sur l’excellente reprise d’Hexagone.
Pour en venir à la musique, j’avais
13 ans à la sortie de ce disque, et je n’avais pas encore réalisé
la subtilité des influences du Doc. Car si de nos jours on se permet
de sampler Barbie Girl, pour faire de la soupe de merde au
coulis de vomi, on retrouve sur deux morceaux l’ombre de Jimi
Hendrix et Janis Joplin, interprètes les plus fameux des morceaux
Hey Joe (BILLY ROBERTS) et Summertime (BIG BROTHER AND
THE HOLDING COMPANY), remixés pour l’occasion. Car oui, il n’est
pas mauvais de reprendre des standards, le blues en est le meilleur
exemple. A l’inverse, si c’est pour en violer le fond et en
éviscérer la forme, non. Diable merci, ce n’est pas le cas ici.
Dangereuse liaison (CALBO et
ROCKIN’SQUAT) est une bombe atomique, pour moi le meilleur passage
du disque, écoutez le, un point c’est tout (un point c’est toi,
cadeau). Hexagone, ou GYNECO reprends le morceau éponyme de RENAUD
est une petite perle de mélancolie, dans laquelle le maître fait
une apparition sur le refrain.
Venons-en à L’Homme qui ne valait
pas dix centimes, unique titre solo du Doc, qui nous donne un
nouvel aperçu du talent du gonze. Lucide, sombre et désabusé,
entouré de mariachis semblant jouer son oraison funèbre, rossé au
soleil écrasant d’un cimetière mexicain. On en taperait des
tequilas sur sa tombe. Il nous donne ainsi la preuve flagrante que
sous cette attitude de grand escogriffe déglingué, le jeune homme
est déjà suffisamment attaqué psychologiquement par un monde qui
finira par avoir sa peau (la suite de sa carrière en donnera la
preuve). « Fonsdé mais pas teubé, j’suis pas la poule aux
disques d’or, ni le presse billet »
Paranoïa et C’est beau la
vie concluent de façon un peu inégale le disque, et ne laissent
pas un souvenir impérissable, le premier car il me foutait mal à
l’aise étant jeune (merci Cathoche de chanter dans des gammes que
seules les chauves-souris peuvent entendre), le second car Doc comme
Nanard semblent rincés au Ricboule et au pétard, ce qui rend le
titre drôle mais gênant. Je suppose que l’idée étant de finir
sur une note plus légère, un peu provoc mais consensuelle
néanmoins, quand on connait le passif de l’ami Tapie.
En vrac, les titres Dans ma ruche
(remix de Dans ma rue, de Première Consultation),
Viens faire un tour dans les cités, Arrête de mentir
et Les mêmes droits sont autant de raisons de jeter une
oreille à cette galette, et représentent selon moi une vision du
rap français tel qu’il était à l’époque. Collaboratif, engagé
et empli de réflexion.
Car oui, la chose
qui me marque le plus à l’écoute de cet opus, et qui reviendra
très certainement dans mes prochaines envolées lyriques sur le
hip-hop, c’est que, putain de bifle, les types avaient des textes.
OUI, DES TEXTES. Ecoutez bien les couplets, quels qu’ils soient,
vous y entendrez un vocabulaire fourni, des références en pagaille
et des punchlines pointues. Nianiania vieux con, le rap c’était
mieux avant. WESH ALORS. J’assume. Sans atteindre les cimes de la
perfection d’IAM, OXMO ou ARSENIK ou du monument Sad Hill,
ce type de « compilation », tout comme Première
Classe d’ailleurs, prouve que les cailleras de l’époque Jogg
Lacoste et Classic Reebok (Tchi-tchi) avaient un champ lexical
étendu, et une vision du monde fort lucide si l’on compare aux
immondices à queue de cheval et combis de pute russe qui auto-tunent
aujourd’hui à grand coup de salopes, et de comparaisons toutes
plus fleuries les unes que les autres.
Ne vous méprenez pas, KAARIS me fait
marrer, et je n’ai pas de mal à zouker sur la Champion’s League
et le fameux Charo de l’ami Blaise. Mais accréditer une génération
d’artistes dont la qualité du fond n’a d’égale que la street
cred de la forme me paraît important. Car oui, le patrimoine du rap
français est riche, et de grande qualité.
En conclusion, l’ami GYNECO nous
livre ici un projet abouti, cohérent, mais qui sonnera, selon moi,
la fin de son ascension musicale. Son manque d’implication sur
l’ensemble des titres du projet pourra lui être reproché, et à
ce jour cet album ne jouit pas de la postérité qu’il mériterait.
Cependant, proposer un projet comme celui-ci à 24 ans prouve une
grande maturité musicale.
L’écoute de ces Liaisons
Dangereuses reste un plaisir systématique, lié entre souvenirs
d’adolescence et mélancolie d’un temps révolu.
C’est beau la vie.
Dante
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